Loulou se réveilla. J'ai entendu du bruit sous le lit, se dit-il. La chambre était dans le noir, mais Loulou n'avait pas peur. À sept ans, on n'a plus peur du noir. C'est ce que lui avait dit papa, et maman lui avait caressé la tête. C'est aussi ce qu'il se répéta. Puis il resta immobile, les yeux ouverts, guettant le moindre craquement. Si un monstre était là, caché sous le lit, il devait comprendre que Loulou ne le craignait pas. Et qu'il resterait éveillé le temps qu'il faudrait. La minute d'après, Lisa, sa grande sœur, le réveilla en se jetant sur le lit et le chatouilla en riant aux éclats. La nuit était finie.
De retour de l'école, il expédia son goûter et monta dans sa chambre. Le jour, c'était plus facile. Il s'approcha du lit, rassembla son courage et… rien. C'était trop dur. Il lui fallait de l'aide. Il partit vers le tas de ses jouets, fureta un peu. Oui ! Voilà ce qu'il lui fallait : la baguette magique d'Harry Potter ! Il la prit en main, se pencha sous le lit : rien. Enfin, rien d'extraordinaire. Le camion de pompier qu'il cherchait depuis trois jours, un petit tas de chaussettes dépareillées, son ballon de foot, quelques billes et des briques de Lego – normal, il les poussait sous le lit pour ne pas se faire mal en marchant dessus. Rassuré, il brandit la baguette.
— Qui que tu sois, je t'ordonne de retourner d'où tu viens et de cesser de me tourmenter la nuit !
C'était drôlement bien dit. Avec une invocation pareille, même le monstre le plus terrible serait obligé de quitter sa chambre.
Après le bisou de maman et le brossage des dents, la nuit arriva, comme toujours, à croire qu'elle n'attendait que ça. Loulou – en fait Louis, il fallait laisser tomber ce surnom de petit, maintenant qu'il était grand – Louis était avait confiance. Il lut un petit peu – tout seul. Il n'avait plus besoin que papa ou maman lui lise une histoire, et c'était un peu dommage. Il allait éteindre sa lampe de chevet, quand il y eut un tout petit bruit. Une sorte de frottement.
Si c'était le monstre de dessous le lit, il tombait mal : ce soir, Louis n'avait pas éteint et il était encore un chevalier de la Table ronde, comme dans le livre. Vif comme l'éclair, il plongea sous le lit, la lampe à la main.
Ça alors ! Dans la lumière, le tas de chaussettes qu'il avait vu tout à l'heure s'était curieusement redressé. On aurait dit un écureuil de toutes les couleurs – encore que Louis n'avait jamais vu d'écureuil de si près. Mais ce qu'il avait pris hier soir pour des billes était en réalité des yeux, qui roulaient d'effroi dans les replis de chaussette. Ce n'était pas vraiment effrayant, on aurait dit une peluche ratée, moche mais rigolote.
— Qui es-tu ? dit Louis.
Une petite voix tremblante s'éleva de l'assemblage. Non seulement ça ne faisait pas peur, mais ça avait peur !
— Je suis le mange-chaussette. Je me suis enfui de la chambre de Lisa. Je n'avais plus rien à manger, elle range tout !
Louis éclata de rire.
— C'est toi qui fais du bruit sous mon lit ?
— Bien obligé. Le jour, j'ai peur. La lumière, ta maman, l'aspirateur... je me recroqueville, je reste immobile. Il n'y a que la nuit que je peux bouger un peu et manger.
— Tu as faim, fit Loulou ?
— Non, c'est gentil. Je n'ai pas besoin de grand-chose. Chez toi, j'ai tout ce qu'il me faut. Une chaussette à grignoter, et quand je peux, un bout de tissu pour changer. Mais j'ai un peu froid la nuit.
— Je peux te toucher ?
— Oui, si tu es câlin. J'aime beaucoup les caresses.
Louis avança la main. Le mange-chaussette était doux au toucher, moelleux même. Il le prit dans son autre main, le ramena contre lui, le caressa, l'approcha de son visage. Pouah ! Il avait une odeur épouvantable. Il le reposa brutalement.
— Ouille ! fit le mange-chaussette. Tu m'as fait mal !
— Excuse-moi. Mais tu pues très fort !
— C'est mon régime qui fait ça. Je ne mange que des chaussettes sales. Tes chaussettes, pour être précis ! Je vis sur ta moquette, au milieu de tous les trucs plus ou moins propres que tu accumules sous ton lit. Comment je pourrais sentir bon !
— Tu veux que je te lave ? dit Louis. Si tu sentais meilleur, on pourrait être amis !
— Surtout pas ! J'ai horreur de l'eau, et après je sens le chien mouillé. Mais tu peux me frotter avec un peu de savon sec, ça sera déjà ça. Et si tu peux me trouver deux ou trois chaussettes propres, tu verras que bientôt, je sentirai meilleur.
— J'ai une autre idée. Attends moi !
Louis sortit de la chambre sur la pointe des pieds et revint avec un pulvérisateur. Il aspergea la petite créature, puis renifla.
— Et voilà ! Tu sens bon la framboise, comme dans les w.c. !
Le mange-chaussette éternua.
— J'en ai pris plein les narines !
— Oui, mais maintenant, je peux te prendre dans mon lit si tu veux. Tu auras chaud la nuit, et moi je ne serai plus seul dans le noir.
Le mange-chaussette sauta d'un bond sur l'épaule de Louis. Il se frotta sur son cou.
— Tu ferais ça ? Tu sais, moi aussi j'ai très envie d'avoir un ami. Et d'être au chaud, de ne plus avoir peur, de manger en paix…
Louis le prit, le caressa et le posa sur l'oreiller.
— Je vais t'appeler Doudou. Moi, je m'appelle Louis, mais tu peux m'appeler Loulou. Attention, seulement la nuit !
Il ajouta.
— Parce que le jour, je suis Louis, un grand garçon. Et c'est pour ça que tous les matins, je pars à l'école. Et pas l'école maternelle, non, à l'école des grands !
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