Son voisin, encore effaré, raconte sa macabre découverte à notre journal.
« Je lui avais dit que le jardinage, c’est de la patience, et que les produits chimiques, ça nous fait pas du bien. Mais elle voulait rien savoir, elle me disait qu’elle avait pas le temps de s’en occuper. Elle préférait asperger son jardin de désherbant.
Ça m'a fait un choc, ce matin, quand je l'ai retrouvée allongée sur sa pelouse, le pulvérisateur à côté d'elle. Pour moi, c’est clair, son impatience l’a tuée. »
« Les trucs de Monsalo, c’est vraiment du poison ! » conclut-il en écrasant son mégot du talon.
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Philippe avait punaisé l’article de Ouest-Vendée ; quand sa colère retombait, il le relisait, même s’il le connaissait maintenant par cœur. Sa tante était morte, morte de la cupidité des firmes, morte de l'aveuglement des agriculteurs, morte de la lâcheté des politique, morte de l’indifférence de tous.
Il fallait qu’il utilise cette colère, qu'il la transforme en arme de transformation massive. Que la mort de Mathilde soit le décès de trop, celui qui fait basculer l’opinion publique. Mais que faire ? Monsalo était hors d’atteinte, Bruxelles n’avait pas de visage, ou en avait trop. Et Trouvier-les-Méfaits n’était qu'un cas parmi tant d'autres : une bourgade dont le maire était agriculteur, comme un habitant sur trois, comme un électeur sur trois de la commune.
Comment créer le choc, la prise de conscience ? Philippe était stupéfait du silence qui avait recouvert l'événement, passé les obsèques. Il avait crânement pris la parole au cimetière, parlant de Mathilde comme d’une victime du système. Droit dans ses bottes, il avait toisé le maire, debout au premier rang, en parlant de l'incurie des politiques, du rôle des lobbies du maraîchage et de l’agro-industrie. Rien n’y avait fait. La maire l’avait écouté, impassible, les attaques glissant sur lui comme la pluie sur un ciré breton. L'édile avait même osé lui répondre et prêcher l’apaisement, la réconciliation des habitants entre producteurs responsables et consommateurs exigeants. Tu parles !
Philippe en était resté ulcéré. C’était clair, il fallait frapper plus fort. Il avait pensé pénétrer dans les serres du maire, arroser son cresson de d'herbicide, inonder sa mâche de pesticide, mais… c’était sans doute déjà fait !
Alors quoi ? La solution s’imposa à lui, au lendemain d’une nuit d’insomnie. « Mathilde, voici le temps venu ! » En fin de journée, il revêtit sa combinaison étanche, remplit le lourd pulvérisateur de pesticide, prit sa voiture. Il pénétra dans la petite salle du conseil municipal quand la séance allait se terminer. Dos à la porte, bloquant tout issue, il vida la bonbonne vers les élus, emplissant la salle d’une vapeur toxique.
L’affaire fit grand bruit et 8 morts immédiats. Philippe, ou ce qui en restait, fut condamné la prison à vie, peine qu’il n'effectua pas – il décéda cinq ans après les faits de complications pulmonaires.
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Dans un second procès, intenté par les familles des défunts, Monsalo eut beau jeu d’expliquer que les notices d’utilisation de ses produits n’avaient pas été respectées. La firme fut dégagée de toute responsabilité.
L’annexe abritant la salle du conseil a été détruite. A sa place, une esplanade très sobre, au centre de laquelle sont enchâssées huit dalles gravées des noms des victimes. Les agents municipaux mettent un point d’honneur à nettoyer l'emplacement au désherbeur thermique.
Image: Wix
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