Je m'appelle Jules, et j'ai bientôt neuf ans. J'ai beaucoup de chance, parce que je suis né le 28 février. Je suis sorti de maman à 10 heures du soir, et si ç'avait été un peu plus tard, je serais né le 29, et j'aurais d'anniversaire qu'un an sur quatre, et pas cette année. Papa dit qu'au lieu d'avoir presque neuf ans, j'aurais tout juste deux ans et encore des couches. Papa, il aime bien les blagues, et des fois je mets du temps à savoir s'il est sérieux. En tout cas, ça doit pas être drôle de se passer d'anniversaire, parce qu'on invite les copains, ils viennent tous avec des cadeaux, on mange plein de bonbons, on joue et on passe une super journée.
Cette année, je voudrais bien inviter Alice. Alice, ses parents sont arrivés l'an dernier, et maman dit que maintenant les bobos rachètent tout ce qui est à vendre et que le bourg perd son âme. L'âme, elle a pas réussi à m'expliquer et je me demande pourquoi elle dit des mots qu'elle connaît pas, mais les adultes ils font ce qu'ils veulent. Moi quand je serai grand, ça sera pareil. Je dirai putain comme papa des fois, zigounette et plein d'autres mots que j'ai pas le droit, et aussi circonvolution, j'aime beaucoup mais je sais plus où je l'ai trouvé ni ce qu'il veut dire.
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Aujourd'hui, Alice m'a dit que pour l'anniversaire ses parents trouvent que c'est un peu tôt et qu'il faut qu'ils connaissent mieux le village. Du coup je suis triste et maman n'était pas contente, j'ai bien vu. Et j'ai entendu le soir qu'elle en discutait avec papa. Elle disait "Pour eux, on est des bouseux" et papa répondait "On est juste bons à cultiver la terre !" Et puis il y a eu un silence et il a ajouté "Peut-être aussi qu'ils préfèrent que leur fille fréquente des enfants plus brillants que Jules." Je suis remonté faire semblant de dormir et j'ai pleuré un peu parce que pour les maths c'est pas ma faute et c'est pas juste non plus !
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L'anniversaire j'étais triste au début mais ça s'est méga bien passé, enfin jusqu'au soir. Y'avait mes meilleurs potes, on est cinq comme les trois mousquetaires, mais sans d'Artagnan parce qu'on veut pas de chef. Maman nous avait fait un gâteau et c'était extra même pour Ethan avec ses bagues sur les dents. Sauf quand il a voulu quand même manger les carambars mais il aurait dû savoir. Enfin c'était pas grave et on a joué avec la Play station et aussi au Karaoké, et Maman venait tout le temps voir pourquoi on faisait tant de bruit. Et puis vers six heures les copains sont repartis et il n'est resté que Gabin. Alors il a eu une idée de Gifi, il m'a dit : "On peut aller chez moi et on jouera au Kendo avec la panoplie de Sam, il est au basket ce soir. On sera seuls mais faut pas le dire à tes parents."
J'ai posé la question à maman. Elle a demandé à Gabin si ses parents étaient là et il a dit "bien sûr" et maman a accepté parce que Gabin, il est très fort pour mentir en regardant dans les yeux et aussi il habite pas loin. On est partis sans courir et maman a crié dans mon dos "si tu n'es pas de retour à sept heures et demie, je viens te chercher et papa te passera un savon." Un savon, c'est pas un savon, c'est juste qu'on m'engueule un max et même des fois je suis puni.
Mais bon, on est arrivés chez Gabin, on a foncé au sous-sol et il m'a montré la tenue de Sam. On faisait très attention parce que Gabin a pas le droit alors il a juste pris le casque, le sabre en bois et un autre genre en roseaux, mais pas les vêtements, ils sont trop bien pliés ça se voit si on s'en sert. Il a aussi pris un bonnet dans sa chambre. On a commencé à jouer avec les vraies règles, on fait semblant de combattre avec les deux armes en faisant des sauts mais on se touche pas et il faut crier le nom des parties du corps qu'on vise. On avait chacun son tour le sabre en bois ou en roseau. Au début, il avait le bonnet et moi le casque, le temps que je comprenne bien, et après j'ai pris le bonnet, parce que le casque ça gène un peu.
C'était super rigolo comme les films de Kung-Fu Panda, j'ai appris tous les cris : "kote !" mais kote c'est pas le côté c'est le poignet ou "Men !" pour la tête et Gabin lui aussi criait "do !" pour le ventre ou "nodo !" pour la gorge et c'est difficile de pas se toucher surtout en sautant. Les dernières choses que j'ai entendues c'est "Men !" et un craquement dans ma tête.
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La fois d'après, j'ai ouvert les yeux et il y avait maman juste au-dessus de moi et elle s'est mise à pleurer et j'ai vu papa, il faisait des grimaces et il avait les yeux mouillés. Ils m'ont fait un câlin et l'infirmière a dit "doucement quand même, je préviens le docteur qu'il est réveillé."
Le docteur est arrivé. Il s'est assis sur le lit et il a dit "alors mon grand, comment ça va ?" J'ai dit "ça a craqué dans ma tête, elle est cassée ?" Il a souri. "Non, tu as la tête dure, tu t'en tire bien cette fois. Une grosse bosse et c'est tout. On va vérifier. Regarde mon doigt." Il a bougé son doigt dans tous les sens et après il m'a fait :
— Maintenant dis-moi tout de suite le plus de mots possibles sans réfléchir.
Alors j'ai crié très vite kendo, putain, zigounette, chocolat, lèche-cul, cacahouète, prout, et puis j'étais en panne et j'ai ajouté circonvolution et puis récipientdair, c'est aussi un mot que j'ai lu mais celui-là il est facile à comprendre. Papa et maman me faisaient les gros yeux, mais le docteur a rigolé.
— Tu m'as l'air en pleine forme ! On va faire un dernier jeu. Tu aimes le calcul ?
J'ai pas osé dire non et de toutes façons il avait commencé avec "4 fois 8 ?" J'ai dit "32, "plus 53 ?" j'ai dit "85", "divisé par 5 ?" j'ai dit "17" et j'ai vu mes parents la bouche ouverte. Alors le docteur a pris son smartphone, il a tapoté dessus et puis il m'a questionné.
— Tu as 2 363 cachets et tu dois les ranger dans des boîtes de 24. Combien de boîtes vas-tu remplir ?
J'ai fermé les yeux et les chiffres dansaient dans ma tête avec des couleurs et tout de suite ils se sont rangés et j'ai répondu :
— 98 boîtes et il me reste11 cachets."
Il a eu l'air surpris, il a fait "bravo !" et il a regardé mes parents.
— Visiblement tout va bien ! Et je ne savais pas que votre enfant était un petit génie en calcul mental !
Papa et maman n'ont rien dit du tout, mais leurs yeux étaient devenus carrés à force d'être ouverts en grand.
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On est rentrés à la maison. Papa conduisait et maman s'était mise à l'arrière et elle me tenait serré contre elle. C'était comme avec mon nounours en mieux, même si le nounours je l'ai rangé depuis deux ans. Papa a dit "ce n'est pas très prudent sans la ceinture" mais on n'a pas bougé et il a pas insisté. Une fois arrivés ils m'ont prévenu : "Ce week-end, tu restes à la maison sans sortir. Tes amis peuvent passer te voir. Pour Gabin, ses parents nous ont présenté ses excuses et leurs excuses, il est puni et tu n'es pas près de le revoir en dehors de la classe."
C'était dur pour Gabin, parce que ça aurait pu être l'inverse et maintenant je serais puni et Gabin il serait très fort en maths. Mais les copains sont tous passés l'après-midi et Alice m'a embrassé sur la bosse et sur les lèvres et je me suis senti tout drôle. Alice et moi, on est amoureux ; et du coup on va se pacser quand j'aurai dix-huit ans. Pour les enfants, je sais pas. Le grand frère de Tom dit que faire des enfants, c'est dégoûtant et qu'on est trop jeune pour qu'il nous explique, et moi je veux pas faire des choses dégoûtantes avec Alice.
Mais on a encore neuf ans moins deux jours pour décider. Ça ne fait plus que 3 284 jours, avec les années bissextiles !
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