
J’ai trouvé le vieux dans le parc, à l’endroit indiqué par Branko. Cigarillo au bec, peinard, Assis face à la mer, en mode méditation. Je me suis placé entre lui et la vue. Je crois qu’il a compris direct. Il a lâché un long soupir, genre 60 piges de fatigue en un souffle.
— Salut, petit ! Alors, ils ont pris un bleu !
J’ai pas répondu. On était seuls. Il squattait le banc, un journal déplié à sa droite. Un sac à terre, une bouteille en dépassait. Rien d’autre.
Mon silence l’a pas stoppé.
— Quel âge t’as ? Mineur, bien sûr. 15 ans tout mouillé ? Regarde bien autour de toi, respire les odeurs, ouvre tes esgourdes. Tout ça va te rester en mémoire, toute ta vie.
Pourquoi je l’écoutais ? Pas par respect, non, même si je savais un peu son parcours. La curiosité ! Où il voulait en venir ?
— La première fois, on l’oublie jamais. Il a secoué la cendre de son Nina. De la main gauche. Moi, c’était en 1978. J’avais planqué toute la nuit devant la boîte de nuit. Dans ma tire. Thermos de café et clope sur clope.
Il faisait des moulinets avec son cigarillo. Il m’enfumait, l’ancêtre. C’était chelou, je sentais ça.
— Quand il est sorti à trois heures du mat, je m’endormais. Mais ce con était tellement bourré qu’il a buté sur ma bagnole. Tu parles d’un coup du sort ! Je suis sorti, je l’ai aidé à marcher jusqu’à la sienne, et quand il s’est tourné pour me remercier, je lui ai collé mon calibre sur le bide et j’ai tiré. Cinq fois.
Je viens de comprendre. Le cigare dans la main gauche, mais le journal à sa droite. Il est droitier ! Le bâtard !!!
— J’oublierai jamais ses yeux, il conclut. Jamais !
Son cigarillo part loin sur sa gauche. Bien tenté ! Mais mon regard ne l’a pas suivi, ma kalach le rafale. Trois petits sursauts, il se vautre. Le journal glisse, découvre un flingue.
Je prends une photo, pour Branko. Je rabats ma capuche, je saute sur ma trott’ et je trace. Il a failli m’avoir. À mon âge ! Sûr, je fais pas mes 17 ans, mais me faire traiter de débutant, c’est la honte ! Sur ma mère !
Photo : Wix

